La rupture fragile

 

 

La mécanique de la rupture

 

« Un bateau qui  se casse, …. » sont les premiers mots d’un chapitre écrit par Véronique Lazarus, physicienne à l’Université Paris Sud, dans l’ouvrage LA MATIERE EN DESORDRE (CNRS éditions/EDP Sciences).

 

La « casse » des constructions faites par les hommes est aussi vieille que les constructions elles-mêmes. On peut cependant distinguer la période où ces constructions, du fait des matériaux utilisés à ce moment, travaillaient principalement en compression (cathédrales, ponts en pierre,…) de celle où les matériaux mis en œuvre pouvaient travailler  également en traction avec l’apparition de l’industrie du métal (ponts métalliques, suspendus,…).

 

Ces « nouveaux » matériaux, soumis à des contraintes de traction, subissent des déformations. Lorsqu’elles sont réversibles (c’est-à-dire lorsque le matériau reprend sa forme lorsque la contrainte disparaît) on dit qu’on reste dans la limite élastique.  Quand cette limite est dépassée non seulement la matière est déformée lorsque cesse la contrainte, mais elle peut également se rompre.

C’est le processus habituel de rupture des matériaux.

 

Depuis quelques dizaines d’années on s’intéresse à un autre type de mécanisme de rupture appelé dans l’ouvrage cité : « la rupture fragile ». C’est un mécanisme de rupture qui apparaît avant d’avoir dépassé la limite élastique.

La différence entre les deux mécanismes de rupture est relativement facile à faire, en rapprochant les morceaux après rupture :

soit on arrive à reconstituer la pièce dans sa forme originelle, c’est la rupture fragile

soit les déformations subies empêchent cette reconstitution et c’est la rupture inélastique classique.

On peut expérimenter assez facilement ce mode de rupture fragile : si on étire une feuille de papier, il n’est pas facile de la déchirer. Si on procède au préalable à une toute petite déchirure sur le bord de la feuille, les choses deviennent beaucoup plus faciles. Les couturières connaissent bien ce principe : elles donnent un petit coup de ciseau sur le bord du tissu qu’elles se proposent de partager par une déchirure.

 

Pour le problème de la « casse » des bateaux, on les assimile à des poutres-caisson.  En chantier, posée entre deux chariots proches des extrémités, la poutre travaille sous l’effet de son propre poids (un freyssinet à lège pèse entre 60 et 70 tonnes). Dans la partie centrale, la zone supérieure de la poutre travaille en compression, la zone inférieure en traction. De part et d’autre des chariots c’est le contraire, c’est la partie haute qui travaille en traction.

Dans d’autres conditions de charges ces zones peuvent être différentes.

Pour les zones qui travaillent en compression, les tests de résistance des matériaux donnent des valeurs à ne pas dépasser bien repérées et prévisibles.

Pour les zones en traction, du fait de ce mécanisme de « rupture fragile », les valeurs critiques sont plus faibles et beaucoup plus difficilement prévisibles. Une fissure dans une soudure, dans la mesure où son orientation par rapport aux contraintes subies est disposée de façon défavorable, peut être à l’origine d’un déchirement qui se propage jusqu’à entrainer la rupture de la poutre[1].

Ce phénomène est d’autant plus redoutable que cette fissure peut être une micro-fissure, indétectable à l’œil nu.

Du point de vue de l’évaluation de l’état du bateau, ce sont les parties basses de la « poutre caisson » qui devront être soigneusement examinées et plus particulièrement pour les bateaux « soudés » construits après la dernière guerre.

Pour la même raison, le chargement des bateaux de travail devra être réalisé en minimisant les contraintes dues à un déséquilibre des charges, même temporaire.

 

 

 

 

[1] Une modélisation mathématique donne une variation des contraintes locales en fonction de la distance r à la pointe de la fissure, en 1/√ r

 

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